Milo Thatch, un jeune géographe linguiste, pense savoir où se trouve le continent perdu de l'Atlantide. Un ami de son grand-père l'aide à monter une expédition afin de l'explorer...
Le début des années 90 a marqué une véritable renaissance des studios Disney, pour lesquels les années 80 avaient été assez dures. Amorcée par La petite sirène (1989), une période faste a vu se succéder La belle et la bête (1991), Aladdin (1992) et Le roi lion (1994), tous de gros succès commerciaux, généralement appréciés par la critique. Pourtant, les grosses productions suivantes recevront des accueils plus tièdes (Pocahontas (1995), Le bossu de Notre-Dame (1996), Mulan (1998), Tarzan (1999)). Le début du XXIème siècle est même inquiétant : Dinosaure (2000), premier long-métrage de Disney entièrement en images de synthèse marche correctement, mais son budget était si imposant (120 millions de dollars) qu'il ne s'avère, en fait, que modérément rentable. Plus grave, Kuzco (2000), lui aussi couteux, ne rembourse pas aux USA son budget. Heureusement pour Disney, Pixar, sa filiale spécialisée dans les longs métrages en images numériques, connaît de beaux succès (Toy story (1995) et Toy story 2 (1999), Monsters Inc. (2001)). C'est donc dans ce contexte instable que la firme de la petite souris a sorti cet Atlantide, l'Empire perdu. Ce sont les réalisateurs Gary Trousdale et Kirk Wise qui ont eu l'idée de ce projet dés le milieu des années 90, souhaitant proposer un film d'aventures influencé par les oeuvres de Jules Verne. On note que ces deux réalisateurs avaient déjà exploité le patrimoine littéraire français pour Disney, avec La belle et la bête d'après Jeanne-Marie Leprince de Beaumont, et Le bossu de Notre-Dame d'après Victor Hugo. Si la plupart des comédiens prêtant leurs voix aux personnages viennent plutôt de la télévision et du dessin animé, on remarque, néanmoins, que Milo est doublé par Michael J. Fox (Retour vers le futur (1985) de Robert Zemeckis...), et que le Roi de l'Atlantide a la voix de Leonard Nimoy (le monsieur Spock de la série TV et des films Star Trek...).
C'est dans cette tradition du film d'exploration que s'inscrit Atlantide, l'Empire perdu. Les réalisateurs avouent, en effet, avoir voulu rendre hommage à la grande vague des films hollywoodiens d'aventures inspirés par les oeuvres de Jules Verne, vague lancée par le succès du formidable 20.000 lieues sous les mers (1954), production Disney réalisée par Richard Fleischer (Les vikings (1958)...) : on vit alors se succéder des productions importantes s'appuyant sur les écrits de Jules Verne, tels Le tour du monde en 80 jours (1956) de Michael Anderson, Michel Strogoff (1956) du vétéran italien Carmine Galone (Scipion l'africain (1936)...), Voyage au centre de la Terre (1959) de Henry Levin, L'île mystérieuse (1961) de Cy Endfield... entre autres. On trouve aussi, dans Atlantide, l'Empire perdu, l'influence d'autres films d'aventures du même genre : on pense à La déesse de feu (1965) de Robert Day, d'après un roman de H. Rider Haggard, produit par la Hammer, dans lequel des explorateurs découvraient une cité perdue sur laquelle régnait une reine interprétée par Ursula Andress (James Bond contre docteur No (1962)...) ; dans le prologue d'Atlantide, l'Empire perdu, la Reine de la ville antique a clairement les traits de cette actrice. Il y a aussi d'évidentes références à la remarquable production Disney L'île sur le toit du monde (1974) de Robert Stevenson (qui n'est pas un dessin animé), dans lequel des aventuriers voyageant en dirigeable découvrent, au pôle nord, une région verdoyante où survit une civilisation viking : le film de Gary Trousdale et Kirk Wise y renvoie clairement lors de la première apparition de l'Atlantide, des séquences en ballon et de l'éruption volcanique.
Mais, d'autre part, Atlantide, l'Empire perdu marque aussi une volonté de Disney de renouveler son esthétique. Pour ce faire, on se tourne notamment vers des influences graphiques proches de la science-fiction, tels que des dessinateurs français de BD, ayant travaillé au cours des années 70-80, comme Caza, Druillet ou Moebius. On pense donc aux excellents dessins animés du français René Laloux : La planète interdite (1973), Les maîtres du temps (1982) et Gandahar (1986), réalisés en collaboration avec, respectivement, les dessinateurs Topor, Moebius et Caza. Ces influences, qu'on ressentait déjà bien dans le décevant Titan A.E. (2000) de Don Bluth (transfuge et concurrent de Disney), sont ici sensibles dans les décors, la végétation et les personnages vivant en Atlantide (le roi, notamment, semble sortir tout droit d'un Druillet...), ou dans les séquences psychédéliques au cours desquelles la princesse reçoit la puissance mystérieuse de l'Atlantide, par exemple. On a aussi souvent rapproché Atlantide, l'Empire perdu de dessins animés japonais, et notamment d'oeuvres de Hayao Miyazaki (Princesse Mononoke (1997)...), telles que Laputa, le château dans le ciel (1986), récit aussi assez proche de Verne (des enfants partent à la recherche d'un château mythique, accroché dans le ciel, et il s'ensuit de nombreuses aventures aériennes parmi des machines extravagantes). Néanmoins, il faut rappeler que ces oeuvres japonaises doivent, de leur côté, beaucoup à Disney et aux adaptations de Jules Vernes des années 50-60 (20.000 lieues sous les mers, Cinq semaines en ballon (1962) d'Irwin Allen...). La compagnie Disney cherche donc, assez courageusement, à tourner le dos à l'imagerie sucrée et infantile qu'elle exploite depuis des décennies, et, pour ce faire, s'inspire d'oeuvres d'animation originales et de qualité. Pourquoi pas ?
La volonté de se renouveler se retrouve aussi dans une tentative de proposer un spectacle relativement plus adulte. Il n'est donc plus question d'animaux qui parlent et de chansons débiles dans ce métrage (bien que le générique de fin n'oublie pas de nous servir une belle louche de soupe bien sucrée, avec une chanson de variétés parfaitement mièvre), et l'action y est assez violente. De même, on apprécie de ne pas voir ce film s'achever sur une belle morale familiale (on lui substitue toutefois un discours écologique assez mollasson). Toutefois, comme Titan A.E., Atlantide, l'Empire perdu a du mal à jongler avec le concept de dessin animé pour adulte et le spectacle pour enfants. Ainsi, les touches d'humour sont particulièrement plates et désolantes, et les gags récurrents à base de pets et de rots, consternent plus qu'ils n'amusent le spectateur de plus de huit ans. Notons au passage que le principal ressort comique du film est le personnage de Gaétan Molière, un géologue français crasseux (les américains savent bien que l'hygiène des français est douteuse !), sexuellement pervers (sacré french lover !) et se nourrissant d'aliments aussi répugnants que des escargots : il va sans dire que ces calembours sont accueillis très froidement lors des projections d'Atlantide, l'Empire perdu dans les salles hexagonales ! Reconnaissons néanmoins que le personnages résigné et cynique de madame Placard est plutôt amusant.
Il faut bien admettre qu'Atlantide, l'Empire perdu déçoit. On regrette d'abord la grande faiblesse des personnages, à l'exception peut-être les deux héros Milo et Kida. Le film est parasité par une série de seconds rôles caricaturaux, creux et exaspérants, supposés apporter des traits d'humour ou animer un peu l'aventure (Helga Sinclair, Audrey Ramirez, docteur Sweet...). Mais, ils ne servent en fait pas à grand chose, si ce n'est à échanger de longues conversations fastidieuses. Le script laisse aussi trop de place à de nombreux passages ennuyeux : après un début nerveux, l'exploration du monde souterrain et la découverte de l'Atlantide semblent traîner en longueur, sans que des évènements dramatiques significatifs ne viennent relancer l'action. Heureusement, l'intrigue finit par se réveiller à partir de la révélation (bien tardive) des méchants. C'est donc un sentiment d'ennui qui domine pendant la plus grande part de cette oeuvre. Regrettons au passage des qualités plastiques très inégales : l'idée d'avoir, comme dans le désastreux Le prince d'Egypte (1998) de la firme Dreamworks, attribué à chacun des nombreux héros une équipe d'animateur différente entraîne une trop grande disparité des styles graphiques, et certains explorateurs (Audrey Ramirez, Commandant Rouke, Gaetan Molière...) s'incorporent assez mal au reste de l'animation. Regrettons encore la musique pompeuse et très Disneyenne, à base de cuivres solennels et de choeurs émerveillés, qui manque sérieusement d'originalité ; notons tout de même quelques recherches intéressantes sur l'incorporations d'influences ethniques dans cette bande-son, un peu à la manière du compositeur Graeme Revell (Jusqu'au bout du monde (1991) de Wim Wenders...).
Malgré un ensemble manquant sérieusement de nerfs, on apprécie tout de même les deux seules scènes d'action d'Atlantide, l'Empire perdu. La première, la lutte contre le Léviathan, assez réussie, évoque les combats interstellaires d'un film tel que La guerre des étoiles (1977) de George Lucas. Enfin, la scène du ballon, avec ses peu communes machines aériennes, sont aussi assez satisfaisantes, bien que l'influence de Miyazaki (Laputa, le château dans le ciel, Porco Rosso (1992)...) y soit patente. On peut aussi se distraire, au cours des séquences les plus ennuyeuses, en admirant le très beau travail sur les décors et l'architecture de l'Atlantide, dans lesquels se mêlent des coupoles de Byzance et de la Rome baroque, des sanctuaires indiens, des pyramides à degrés méso-américaine, des temples grecs ou romains... Notons que, parfois, à force de favoriser les empilements et les élévations fantastiques, les dessinateurs de Disney ont créé quelques bâtiments plus proche de la pièce montée en pâtisserie que de l'architecture !
Atlantide, l'Empire perdu est donc une relative déception, notamment à cause de personnages qui ne parviennent pas à attirer la sympathie du spectateur, et d'un scénario manquant gravement de péripéties spectaculaires. Il reçut un accueil assez mauvais aux USA, ne remboursant même pas son budget par son exploitation en salles, ce qui, pour un Disney, est vraiment synonyme de gros bide.
Bibliographie consultée
- L'écran fantastique, numéros 214 (octobre 2001) et 216 (décembre 2001)